Je suis arrivé comme un nouveau-né à Vitry sur Seine ; ou plutôt presque, parce que j’y étais déjà passé pour aller au Mac Val. On m’avait invité pour « poser mon regard » sur la ville alors j’ai déposé mes bagages et je suis allé « baguenauder », comme j’ai l’habitude de faire, afin de ramener ma « moisson » de photographies.
Ça a été dur au début… parce que ce l’on me demandait c’était de produire en trois semaines le même genre de récolte photographique qu’en vingt années… le ton « burlesque » ou humoristique, les situations « décalées » devaient apparemment primer. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme cela, bien sûr… Vingt ans versus Trois semaines ? Imaginez !
Alors j’ai marché, j’ai marché, exploré la ville et fabriqué les connexions mentales nécessaires entre les lieux, les rues, les chemins et les voies ferrées…
J’ai eu la pluie et le soleil, la transparence et l’ombre. J’ai eu des ciels translucides et lourds… Et puis j’ai eu les gens de dos…
Je ne sais pas pourquoi ; peut-être que cela venait de moi mais on se méfie toujours d’un « primo arrivant », surtout avec un appareil photo, ou alors on l’accueille sincèrement. Parce que j’ai tout de suite compris certaines règles en parlant avec ceux que je croisais ou en regardant tout simplement. J’ai eu des heurts et des rencontres… vous vous en doutez bien.
J’ai «tout photographié », tout remis en question même si je sais que je restais « laconique », que c’était, quelque part au fond de moi, laborieux, parce que les autres (la plupart) ne voulaient pas que je les photographie mais là c’était plus dur, plus lâche pour moi parce que j’étais bien conscient de les voler ces images alors je les « prenais de dos ». J’aurais aimé avoir leurs beaux visages parfois malmené par la vie, leurs bouches souriantes ou faisant la moue, leurs yeux levés vers le ciel dans la pensée ou leurs nez en train de respirer l’air un peu chargé de particules, tout de même… je n’étais pas à la campagne.
Mais justement en errant, en traversant les interstices de la ville, j’ai commencé à percevoir que la nature, ici, avait refusé de partir ; et c’est tant mieux. Au début j’ai croisé les chats et les chiens, et puis les oiseaux sont venus, les cygnes surtout parce que lorsqu’ils ont fait leur parade amoureuse devant moi, sans aucune pudeur, j’ai été totalement ému. C’est vrai que le lien au fleuve, comme celui que j’ai avec la Loire, mon quotidien, cela m’a attiré et que tous les jours j’essayais de passer par là-bas, par les bords de la Seine, même si ce n’était pas possible parce que les chemins sont tordus. Je suis monté en haut de la ville, dans les côteaux et me suis surpris à voir des espaces pas vraiment domestiqués ou les punaises, les abeilles, les sauterelles sautaient de joie d’avoir encore un lieu « à peu près à elles » et donc, en toute logique, elles sont là, sur mes images… Plus tard, j’ai croisé un escargot et là je l’ai pris « de face » parce que lui, franchement, comme les poules d’eau, les perruches à collier, les corneilles, les canards et compagnie, il s’en fichait de « son image » et d’être dans une exposition ou ailleurs. Par contre, il allait traverser une route et se mettre en danger alors je l’ai délicatement remis dans un jardin… j’espère qu’il y avait des salades !
J’ai photographié des déchets aussi, des ruines modernes, des immeubles, des gestes et j’ai fait quelques portraits de ceux qui voulaient bien, comme ça, au hasard des rencontres même si c’était trop peu.
Chaque soir, le ciel, aussi, m’apparaissait. On m’avait prétendu qu’il n’était pas très beau à Vitry mais c’est sans compter sur la beauté du monde.
Oui, ce monde, diaphane et opaque, jamais gris, où les nuances se côtoient et se mélangent. C’est ça que j’ai appris ici.
Tout simplement.