Qui ne s’est pas posé à un moment de sa vie cette question simple ; celle de l’existence, comment est-on arrivé là, pourquoi la vie?
Je n’ai pas tenté de donner des réponses à travers ces images mais je sais que si je suis ici c’est en partie grâce à cet homme, le père de mon père.
J’ai passé de longs moments avec lui à traverser la campagne, les forêts ; à pêcher, faire le jardin, chercher des champignons… Tout ce l’on est censé faire avec son grand père.
Mais à travers ces choses si simples, il m’a appris à regarder le monde, à le saisir, à aller au delà des simples apparences et c’est sans doute grâce à lui que je suis devenu artiste plasticien et photographe aujourd’hui.
C’est pour cela que j’ai commencé ce travail, pour lui rendre hommage.
À travers sa vie, que certains diraient simple, il m’a appris à voir les vanités de ce monde. Je lui dois peut-être aussi cette forme de lucidité.
Il est aujourd’hui âgé de 89 ans et vient d’intégrer une maison de retraite. C’est difficile de penser que les choses sont inéluctables, que tout ce que j’ai partagé avec cet homme ne sera bientôt que souvenirs.
Je lui dois mon nom de famille donné par l’assistance publique. Quelque part, je ne saurai que remercier les personnes qui l’on abandonné, sans quoi je n’existerai pas ; j’y ai souvent pensé.
Puis il est devenu facteur et a arpenté les petites routes de campagne en vélo et pour finir en solex. Il a su inverser ce début de vie difficile, déni de son identité, en tissant un vaste réseau relationnel, en construisant au fur et à mesure du temps un rapport généreux et humain à l’intérieur de cette société rurale.
Je n’ai aucune distance avec ses images et j’espère que vous le comprendrez; il s’agit d’abord d’un sujet qui m’affecte fortement, un homme que j’aime profondément. C’est aussi un vieil homme qui part sur le chemin du retour à la terre. Je voulais aussi parler de cet autre monde, la campagne, au moment même ou pour la première fois sur cette planète le nombre des habitants des villes vient de dépasser celui des campagnes.
Il y a quelque chose de figé dans son univers ; le temps semble parfois arrêté et le silence de ce monde m’a parfois semblé inquiétant. Une forme de mélancolie s’empare de moi lorsque je regarde ces images; cet être, ces lieux, reliés à mon enfance commence doucement à s’étioler.
J’ai aujourd’hui deux fils et si je deviens à mon tour un grand-père, je me souviendrai de cet homme.
Et la vie continue…