BADLANDS, le syndrome de Stendhal

En février 2022, alors que j’arpentais les routes américaines depuis presque trois mois, je rendis visite à un ami, Mark Derby, résidant dans le Dakota du Sud. 

Après les déserts Texans, la chaleur humide de la Louisiane, je me retrouvais exposé à des températures glaciales. 

Suite aux quelques jours passé dans les Black Hills, chez ses parents, à Spearfish plus exactement, nous prîmes la route en direction de Marshall, petite ville du Minnesota où j’avais vécu mes « premiers émois américains » à l’âge de 18 ans, en 1990.

 

Alors que le long ruban bitumeux droit et semblant infini (comme toutes les routes américaines) de la Highway 90 nous emportait vers l’est, Mark eut l’initiative de prendre la sortie qui menait à Wall, minuscule ville, afin que nous déjeunions. Pas de grande gastronomie dans le coin mais un hamburger de bison et des frites nous fournirent tout de même les calories nécessaires à supporter ce grand froid aux alentours de -30 degrés Celsius. 

Puis, au lieu de reprendre la bretelle qui menait à la 90, nous passâmes dessous et allâmes tout droit. Je le signalais à Mark qui me dit qu’il avait une surprise pour moi ; il voulait me faire visiter un peu son « pays » mais je rétorquais que nous n’avions pas le temps, puisque depuis Marfa au Texas nous avions pris quelques jours de retard. Il insista et nous continuâmes tout droit sur une petite route. Nous arrivâmes à deux « cahutes » munies de barrières à l’instar de celles des autoroutes en France et ces dernières étaient levées car il faisait trop froid pour travailler… l’entrée coûtait 30 dollars mais aujourd’hui c’était gratuit… c’est alors que Mark s’écria « Welcome in the Badlands National Park ».

A ce moment là, j’insistais toujours pour que nous faisions demi-tour afin de rattraper le temps perdu mais la route, cette fois-ci bien tortueuse, nous emmenait là où je vivrais, sans le savoir, une des expériences les plus fortes et les plus insolites de ma vie, bien que très désagréable.

La plaine vallonnée fit place à des reliefs qui devinrent de plus en plus exacerbées… et puis Mark s’arrêta et me dit d’aller voir… je sortis de la voiture et descendis un petit escalier de bois avant de marcher 200 ou 300 mètres, juste avant d’arriver au bord d’un précipice où je pris mon appareil afin d’assouvir ma passion et ma vie, la photographie… au début, durant les premières secondes, tout alla bien jusqu’à ce que mon coeur s’emballe, que je commence à suffoquer, pris de vertiges, et à voir des tâches rouges au coin des yeux… sans raison aucune je me mis à crier, puis à sangloter et je pris mes jambes à mon cou en direction de la voiture où Mark m’attendait. 

Il ne comprit pas du tout ce qui m’arrivait ; moi-même j’ignorais les raisons de cette panique, de cette angoisse démesurée et lui criais en pleurant de faire demi-tour, de reprendre la 90. Mais il continua sans jamais m’écouter alors que ma crise montait en puissance et que mon esprit était terrifié à l’idée des gouffres que la route affleurait…

Par habitude mais surtout pour me protéger, car l’appareil est un filtre entre nous et la réalité, je me mis à mitrailler les paysages alentours et au bout d’une trentaine de minutes je redescendis ; mon coeur cessa de battre la chamade et ma respiration se fit plus apaisée.

Mon cerveau revint à moi et en me demandant bien ce qui venait de m’arriver, je compris. J’avais été victime du Syndrome dit de Stendhal ou de Florence. Je croyais que cela n’arrivait que devant des oeuvres d’art mais, apparemment, devant des paysages aussi. C’est à dire que mon cerveau n’avait pas pu supporter la terrifiante beauté de ce lieu ; c’était trop, beaucoup trop pour lui et il me l’avait pleinement signalé. J’aurais aimé ne pas l’avoir ce « syndrome » qui, je croyais, était agréable à vivre mais, que nenni ; oui, je m’en serais bien passé…

Nous traversâmes ces paysages, seuls au monde, durant plus d’une heure, ces 1000 kilomètres carré de folie géologique âgés de plus de 60 millions d’années ; j’avais l’impression de n’avoir jamais vu plus beau et plus étrange paysage ; une beauté, de fait, quasiment insoutenable, vu ce que je venais de vivre… C’était vraiment comme être sur une autre planète.

La nature nous dépasse, et sa beauté originelle aussi ; ainsi que le réel, dépasse de très loin la fiction. Ce que j’ai vécu, là-bas, je ne l’oublierai jamais… malgré la tétanie provoquée par ces « mauvaises terres », par ce pays maudit où les amérindiens pratiquaient la « Ghost Dance » ; ils ne s’y étaient pas trompés, non… nul doute que des fantômes hantent les Badlands.

Et enfin, nous avons repris la route.

Avec le soutien de Fieldwork Marfa, du Conseil Régional des Pays de la Loire, de Nantes Métropole et de l’Institut Français.

In February 2022, after almost three months on the road, I visited a friend, Mark Derby, in South Dakota.
After the deserts of Texas and the humid heat of Louisiana, I found myself exposed to freezing temperatures.
After a few days in the Black Hills, at his parents’ home in Spearfish to be precise, we hit the road in the direction of Marshall, the small Minnesota town where I had experienced my « first American thrill » at the age of 18, in 1990.

As the long, straight and seemingly endless (like all American roads) ribbon of Highway 90 swept us eastward, Mark took the initiative to take the exit that led to the tiny town of Wall, so that we could have lunch. No great gastronomy in the area, but a buffalo burger and fries provided us with the calories we needed to endure the -30 degrees Celsius cold.
Then, instead of taking the ramp back to 90, we passed under it and went straight on. I pointed this out to Mark, who told me he had a surprise for me; he wanted to show me a bit of his « country », but I retorted that we didn’t have the time, since we were a few days behind schedule from Marfa, Texas.

He insisted and we continued straight on down a small road. We came to two « cahuts » with barriers, like those on the freeways in France, and these were raised because it was too cold to work… entry cost $30, but today it was free… then Mark called out « Welcome in the Badlands National Park ».
At this point, I was still insisting that we turn back to make up for lost time, but the road, this time quite winding, was taking us to where I would unknowingly have one of the most powerful and unusual experiences of my life, albeit a very unpleasant one.
The rolling plain gave way to reliefs that became more and more exacerbated… and then Mark stopped and told me to go and see… I got out of the car and went down a small wooden staircase before walking 200 or 300 meters, just before arriving at the edge of a precipice where I took my camera to indulge my passion and my life, photography… at first, for the first few seconds, all went well, until my heart started to race, I began to suffocate, to feel dizzy, and to see red spots in the corner of my eyes… for no reason at all I started to scream, then to sob, and I ran off in the direction of the car where Mark was waiting for me.

He didn’t understand what was happening to me at all; I didn’t even know why I was in such panic and anguish, and cried out to him to turn around and get back on the 90. But he went on, never listening to me, as my crisis mounted and my mind was terrified of the abysses that the road would reveal…
Out of habit, but above all to protect myself – because the camera is a filter between us and reality – I began to take pictures of the surrounding countryside, and after about thirty minutes I came back down; my heart stopped racing and my breathing became calmer.
My brain came back to me and, wondering what had just happened, I understood. I had fallen victim to the so-called Stendhal or Florence Syndrome. I thought this only happened in front of works of art but, apparently, in front of landscapes too. In other words, my brain hadn’t been able to cope with the terrifying beauty of this place; it was too much, much too much for it, and it had given me full warning. I wish I hadn’t had this « syndrome », which I thought was pleasant to live with, but nonsense; yes, I could have done without it…

For over an hour, we drove through these landscapes, alone in the world, these 1,000 square kilometers of geological madness over 60 million years old; I had the impression of never having seen a more beautiful and strange landscape; a beauty, in fact, almost unbearable, given what I had just experienced… It really was like being on another planet.

Nature is beyond us, and so is its original beauty; so is reality, far beyond fiction. I’ll never forget what I experienced there… despite the tetany caused by these « bad lands », by this cursed country where the Amerindians practiced the « Ghost Dance »; they weren’t mistaken, no… there’s no doubt that ghosts haunt the Badlands.

Finally, we hit the road again.

With the support of Fieldwork Marfa, du Conseil Régional des Pays de la Loire, de Nantes Métropole et de l’Institut Français.